Bon, pour être tout à fait honnêtes, on nous avait quand même prévenus que Cienfuegos - El Nicho – Topes de Collantes à vélo, c’était costaud, mais en plus avec des enfants…
A Cienfuegos puis à Cumanayagua, lorsque nous tentions d’obtenir quelques informations sur la route, nous avons eu toutes sortes de réponses, depuis le « Ah non, il n’y a rien, rien du tout, pas de route ou de piste, il faut passer par la côte », au « si, si, la route est bonne, elle est goudronnée », en passant par « il y a juste une piste », tandis qu’une carte locale nous garantissait l’existence d’une route (inexistante en fait) et que notre appli nous indiquait une espèce de piste.

Côté kilomètres, nous avons eu, selon les personnes interrogées, un delta d’une vingtaine de kilomètres (sur 50, ça fait quand même une belle marge). Comme dirait Pujadas : 20 km selon la police et 50 selon les paysans et badauds rencontrés. Bref, on savait que l’on se lançait dans une aventure pas forcément des plus faciles, mais que la récompense devait être à la hauteur. Et ô combien elle l’a été.


Nous avons donc quitté Cienfuegos le 29 février matin. Le trajet jusqu’à Cumanayagua a été un prologue facile, au milieu des champs de canne à sucre. Arrêts fréquents pour observer les récoltes et se rafraîchir d’un petit verre de guarapo, le jus de canne pressé sous nos yeux. A partir de Cumanayagua, l’ascension pour El Nicho commence. Ici, on ne s’embête pas de lacets dans les montagnes.

La route, à l’image des portions de béton russe dans les pentes les plus raides, est efficace : comprendre droite et à 20%. Nous poussons parfois difficilement les vélos (monture et chargement avoisinent les 50kg, et encore on a fini la bouteille de rhum la veille pour se délester un peu !).
A 13h30 nous arrivons dans le tout petit village de Crucitas, à près de 700m d’altitude, alors que le matin même nous étions au niveau de l’océan ! Nous embrassons alors un paysage couper le souffle (enfin le peu qui nous reste) sur la baie de Cienfuegos et la chaîne de montagnes alentour. Nous filons direct à la petite cafétéria où nous engloutissons tous deux sandwichs à l’omelette, unique plat servi mais qu’importe, c’est un festin pour nous.

Il ne nous reste alors plus qu’à dévaler les 4 km qui nous séparent d’El Nicho et nous ramènent à 420m d’altitude. Les freins chauffent car là aussi les pentes sont directes! Il est 16h quand nous arrivons au parc naturel. Les touristes sont repartis. Nous avons donc la cascade et la piscine naturelle rien que pour nous. Et qu’elle est bonne après cette journée d’effort. Un guide du parc nous propose de nous emmener voir la grotte de l’éléphant (du nom d’une sculpture de calcaire, à l’intérieur, qui ressemble fort au pachyderme).
Pour y parvenir nous traversons une véritable jungle, au bord d’une rivière à propos de laquelle le guide nous dit qu’elle en furie en juillet/août, lors de la saison des pluies. Nous empruntons un autre chemin pour le retour, suivant la rivière et les nombreuses piscines naturelles.

Vous vous en doutez mais c’est beau, c’est beau, c’est BEAU ! En plus, rien ne vient dénaturer le site : les poubelles sont en feuilles de bananier séchées, les rambardes en bambou et pas un seul panneau en vue du genre « attention danger ! baignade à vos risques ! watch out ! watch your step ! », véritables verrues de nos sociétés angoissées.

Malgré les 1011 mètres de dénivelé positif gravis, il reste à Théo et Elsa suffisamment de forces pour une partie de baseball endiablée avec le gardien du parc avant la tombée de la nuit! Nuit que nous passons sous la tente, seuls au monde bercés par la rivière.
Le 1er mars est une date qui restera dans ce voyage. La portion El Nicho – Topes est la grande inconnue, à part pour les locaux qui sont unanimes : c’est impossible, et nous encouragent à faire demi-tour vers Cienfuegos ! Pour cause, cette « route », mélange de portions goudronnée à nids d’autruche américaine de Géorgie, et de portions de piste, est peu empruntée. Là encore, pas de lacets de montagne. Et le Cubain ne semble pas adepte des tunnels.
Même dans les moments les plus durs, Théo, toujours positif, dit qu’au moins ça nous permet d’avoir de beaux points de vue ! Dès la sortie d’El Nicho, dans la première des innombrables montées, nous sommes rejoints par un cavalier, machette à la ceinture, qui se rend probablement à son champ. Après nous avoir fait comprendre que l’on s’attaquait là à un morceau bien difficile, il cale son rythme sur le nôtre. On ne sait alors si c’est par compassion ou par curiosité !
Ils sont fous ces touristes ! En fait ce n’est ni l’un ni l’autre. C’est juste qu’il sait que devant nous se dresse un mur à plus de 25% sur 300 mètres et il donne alors son cheval à Théo et aide à pousser les vélos. C’est là encore la chance du cyclotouriste, que nous avons vécue tout au long de ce périple. Notre sauveur, surgit du fond de la forêt, ne s’appelle pas Zorro mais Tromino.

Nous enchainons alors les montées et les descentes, toujours à très fort dénivelé. Par trois fois, des paysans ou petits vendeurs croisés, compatissants, nous offrent des bananes. L’un d’eux nous dira même que de mémoire de paysan, jamais on n’avait vu un enfant à vélo par ici. Théo et Elsa repartent, gonflés de fierté. Chaque col nous offre une vue incroyable et une tranquillité inégalée. Peu de monde habite dans ces terres presque coupées de tout.
Sur les 20 premiers kilomètres, seuls 2 camions et 4 voitures viennent troubler cette tranquillité. Deux de ces voitures nous offrent un petit condensé de notre Union Européenne : une voiture de ville avec un Italien et 3 Italiennes est embourbée en montée, avec un pneu éclaté. En bon latins optimistes, ils se sont dit que ça passerait ! En face, bloqués par les Italiens, dans la même direction que nous, des Allemands qui nous avaient doublés un peu plus tôt, bien plus prévoyants dans leur 4X4, portant secours à l’Italie. Et nous, en bon Français, on se contente de donner notre avis (faites demi-tour !) avant de poursuivre notre chemin !

Quelques kilomètres plus loin, au terme d’une très longue et très raide montée, nous atteignons ce qui sera sans aucun doute notre point culminant à Cuba : Cuatro Vientos et ses 824 mètres d’altitude. Il nous aura fallu 5 heures pour parcourir 20 km ! Nous nous arrêtons pour une halte repas sur un terrain avec équipements sportifs /musculation installés par le gouvernement, comme dans de nombreux autres villages (probablement un don chinois), avec comme slogan « El deporte es la salud ». C’est sûr que quand tu traies encore les vaches à la main, que tu coupes la canne ou rentres les foins à la machette, que tu fais 10 km A/R pour aller dans tes champs, que tu laboures derrière tes bœufs, t’as bien envie d’aller passer ta fin de journée ou ton dimanche sur un parcours de santé !

Après Cuatro Vientos, 10 km nous séparent de Topes de Collantes. Le plus dur est fait mais les dernières montées se jouent au moral. La route devenant meilleure, les touristes deviennent plus nombreux, juchés sur des camions dont l’arrière a été réaménagé avec des banquettes. Nous nous faisons intensivement photographier, même lors de nos pauses bananes : on a alors un peu l’impression d’être des singes dans un safari….

Après 8 heures de vélo et surtout de marche poussive, 1333 mètres de dénivelé positif, et 30 petits kilomètres parcourus, nous atteignons Topes de Collantes avec une grosse couche de bonheur sur celles de poussière et de sueur. Le soir, alors seuls dans notre petite casa à dîner d’un plat de spaghetti à la saveur toute particulière, la montagne s’enveloppe lentement d’un manteau blanc, nous plongeant 15 ans en arrière dans l’atmosphère des collines de Goma, à l’est du Congo. Au terme de cette incroyable épopée familiale qui nous laissera, c’est sûr, des souvenirs bien à nous, nous avions envie de nous exclamer à l’unisson, tels les Enfants du marais : « Nous sommes les derniers hommes libres ! Quelle aventure ! ».